Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 2.djvu/61

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petite baie est la baie de Slaikray, et le roi, pour gagner Upslo et retrouver la reine, n’a guère que quarante journées de marche à faire !

Cette distance n’est rien pour un mari en expectative. Nonobstant l’hiver qui lui barre la route, Jacques a résolu de partir tout de suite, et de faire en vingt jours ces quarante journées de marche, dût-il crever tous les chevaux du pays ! Il part donc, escorté de ses gentilshommes les plus intrépides, il galope dans la boue et dans la neige pendant vingt-deux jours, et, le 19 novembre 1589, jour à jamais mémorable ! il aperçoit enfin, du haut d’une colline, un tas de maisons de bois étendues le long de la mer sous un grand linceul blanc. C’est Upslo. C’est là, dans une de ces cabanes, que loge sa bien-aimée, sa princesse, sa reine, celle dont il a baisé si souvent l’image, sa femme par procuration, qu’il a tant de hâte d’épouser autrement qu’en effigie !

Dans sa légitime impatience, Jacques viole toutes les lois de l’étiquette. Sans prendre le temps de changer de linge, botté, éperonné, couvert de crotte, il force la porte de la reine, entre dans son appartement, la saisit dans ses bras et lui applique un gros baiser sur les lèvres. La reine, qui, dit le chroniqueur Marjoribanks, n’attendait nullement sa majesté à cette époque « tempêtueuse, » la reine se gendarme en voyant ce jeune échevelé lui sauter au cou. Jacques veut établir son identité : — Je suis lui-même ! s’écrie-t-il comme le héros de la chanson. Il s’évertue à prouver à la princesse qu’il est son mari, et que ce baiser est un faible à-compte sur les arrérages déjà dus. Mais son éloquence reste sans effet. Le roi parle écossais, et la reine ne sait pas l’écossais. Jacques va donc être expulsé comme un vil saltimbanque, lorsque heureusement pour lui un interprète accourt et éclaircit l’affaire. Mais la princesse n’est complètement rassurée