Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1865, tome 2.djvu/91

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Que répliquer à tous ces arguments, surtout quand celui qui les présente, aujourd’hui roi d’Écosse, sera demain roi d’Angleterre ? Le pauvre Scot et ses partisans durent se taire en loyaux sujets. Le livre de Jacques eut un succès immense et populaire. La critique, toujours fidèle au succès, acclama dans l’auteur un nouveau Salomon. La littérature accepta servilement l’arrêt royal. Les tréteaux du théâtre répétèrent l’anathème lancé des tréteaux du trône. En pleine scène anglaise, Greene fit faire pénitence à Roger Bacon ; et, du haut de la même scène, Marlowe précipita Faust au fond de l’enfer.

Un seul homme résista à l’entraînement universel.

Cet homme, ce fut Shakespeare.

Shakespeare ne fit pas comme Reginald Scot.

Il ne rejeta pas les traditions de la Bible et de la légende ; il les arbora.

Il ne contesta pas le monde invisible ; il le réhabilita.

Il ne nia pas la puissance surnaturelle de l’homme ; il la sanctifia.

Jacques VI avait dit : Anathème aux esprits ! Shakespeare dit : Gloire aux esprits !

Ce parti pris du poëte ne fut pas dans sa pensée la préméditation d’une tactique, il fut l’effet d’une conviction. Shakespeare croyait profondément au mystère. Il n’était pas de ceux qui affirment que la création qui commence à la pierre s’arrête à l’homme ; il acceptait pleinement cette philosophie populaire qui faisait monter une échelle d’êtres indéfinie de la matière à l’idée, du mal au bien, de Satan à Jéhovah, et qui plaçait au milieu de cette échelle l’homme, moitié corps et moitié âme. Convaincu qu’il y a un monde intermédiaire entre l’homme et Dieu, Shakespeare était invité par la logique même à reconnaître l’existence de toutes les créatures dont le pan-