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SCÈNE III.

ARTHUR.

— Je vous en supplie, madame, résignez-vous.

CONSTANCE.

— Ô toi qui me dis de me résigner, si tu étais horrible — et difforme, si, calomniant le ventre de ta mère, — tu étais couvert de signes fâcheux et de taches repoussantes, — boiteux, niais, voûté, noir, monstrueux, — couvert de verrues hideuses et de marques choquantes, — tout cela me serait égal. Je me résignerais alors ! — Car alors je ne t’aimerais pas ; et toi, — indigne de ta haute naissance, tu ne mériterais pas une couronne. — Mais tu es beau, et à ta naissance, cher enfant, — la nature et la fortune se sont unies pour te faire grand. — Pour les dons de la nature, tu peux rivaliser avec les lis — et la rose à demi ouverte. Mais la fortune, oh ! — elle est corrompue, pervertie, tournée contre toi. — Elle vit dans un incessant adultère avec Jean, ton oncle ! — De sa main dorée, elle a entraîné la France — à fouler sous ses pieds le noble respect de la souveraineté, — et a su faire de sa majesté l’entremetteuse de leurs amours ! — La France est l’entremetteuse de la fortune et du roi Jean, — de la fortune, cette catin, de Jean, cet usurpateur ! — L’ami, dis-moi, est-ce que le chef de la France n’est pas parjure ? — Crache-lui donc le venin de tes paroles ; sinon, passe ton chemin, — et laisse à leur isolement ces douleurs que seule — je suis tenue de subir !

SALISBURY.

Pardonnez-moi, madame ; — je ne puis sans vous me rendre auprès des rois.

CONSTANCE.

— Tu le peux, et tu le feras : je n’irai pas avec toi. — J’apprendrai à mes douleurs à être fières : car le malheur est fier et exalte sa victime. — Qu’ils viennent à moi, les rois ! — Qu’ils s’assemblent devant la majesté de ma