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SCÈNE IV.
de l’Angleterre, — et nous nous rappelions mille mauvais moments — que nous avions eus durant les guerres d’York et de Lancastre. — Comme nous marchions — sur le plancher chancelant du tillac, — il m’a semblé que Glocester faisait un faux pas et tombait, — et que, comme je cherchais à le retenir, il me poussait par-dessus le bord — au milieu des vagues bouleversées de l’Océan. — Ô Dieu ! quelle douleur c’était de se noyer ! — quel affreux bruit d’eau dans mes oreilles ! — quels spectacles hideux de mort devant mes yeux ! — Il me semblait voir mille effrayantes épaves ; — des milliers d’hommes que rongeaient les poissons ; — des lingots d’or, de grandes ancres, des monceaux de perles, — des pierres inestimables, des joyaux sans prix, — épars au fond de la mer. — Il y en avait dans des têtes de mort, et, dans les trous — qu’avaient occupés des yeux, étaient fourrées — des pierreries étincelantes qui de leurs regards dérisoires — couvaient le fond boueux de l’abîme — et narguaient les ossements dispersés près d’elles.
BRAKENBURY.

— Aviez-vous donc, au moment de la mort, — le loisir de contempler ces secrets de l’abîme ?

CLARENCE.

— Il me semblait l’avoir. Maintes fois je tâchai — de rendre l’esprit ; mais toujours le flot jaloux — refoulait mon âme, l’empêchait — de gagner l’espace vide et libre de l’air, — et l’étouffait dans ma poitrine pantelante — qui crevait presque pour la cracher.

BRAKENBURY.

— Et vous ne vous êtes pas éveillé dans cette cruelle agonie ?

CLARENCE.

— Non ! non ! mon rêve se prolongeait au delà de la vie. — Oh ! alors la tempête commençait pour mon âme !