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RICHARD III.
— Je croyais franchir le fleuve mélancolique — avec le sinistre batelier dont parlent les poëtes, — et entrer dans le royaume de l’éternelle nuit. — Le premier qui, là, saluait mon âme étrangère — était mon grand beau-père, le renommé Warwick. — Il disait tout haut : « Quel châtiment cette noire monarchie — a-t-elle pour le parjure du traître Clarence ? » — Et puis il s’évanouissait… Alors arrivait errante — une ombre semblable à un ange, ayant une lumineuse chevelure — toute collée de sang ; elle s’écriait : — « Clarence est arrivé, le fourbe, le fuyard, le parjure Clarence, — qui m’a poignardé aux champs de Tewksbury ; — saisissez-le, furies, et livrez-le à vos tortures ! » — Aussitôt, il m’a semblé qu’une légion d’affreux démons — m’environnait, en me hurlant aux oreilles — des cris tellement hideux, qu’au bruit — je me suis éveillé tout tremblant, et, pendant quelque temps, — je n’ai pu m’empêcher de croire que j’étais en enfer, — tant mon rêve m’avait fait une impression terrible !
BRAKENBURY.

— Il n’est pas étonnant, milord, qu’il vous ait épouvanté : — je suis effrayé moi-même, il me semble, de vous l’entendre raconter.

CLARENCE.

— Ô Brakenbury ! Toutes ces choses — qui maintenant déposent contre mon âme, — je les ai faites pour l’amour d’Édouard ; et vois comme il m’en récompense ! — Ô Dieu ! si mes prières profondes ne peuvent t’apaiser, — et si tu veux un châtiment pour mes offenses, — n’assouvis ta colère que sur moi seul. — Oh ! épargne ma femme innocente et mes pauvres enfants !… — Je t’en prie, doux gardien, reste près de moi. — Mon âme est appesantie, et je voudrais dormir.

Clarence se retire au fond du théâtre et se jette sur un lit.