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SCÈNE VIII.

TROYLUS.

On sait bien ce qu’on dit quand on parle si spirituellement.

CRESSIDA.

— Vous pourriez croire, monseigneur, que j’ai montré plus de sagacité que d’amour, — et que je ne me suis laissée aller à tant d’aveux — que pour jeter l’amorce de vos confidences. — Mais, vous le savez, on n’est sensé que — quand on n’est pas amoureux : être sensé et aimer, c’est chose impossible à l’homme ; cela est réservé aux dieux là-haut !

TROYLUS.

— Ô ! si je croyais possible à une femme, — (et, si cela est possible, je veux l’espérer de vous), — d’entretenir à jamais le flambeau et les feux de son amour — et de conserver dans sa fraîcheur et dans sa force une fidélité — qui puisse survivre à la beauté extérieure par une pensée — plus prompte à rajeunir que le sang à vieillir ! oh ! — si, grâce à cette conviction, j’étais persuadé — que ma sincérité, ma constance envers vous — puissent rencontrer, pour leur faire équilibre, — un amour aussi raffiné et aussi pur, — combien alors je serais ravi ! Mais, hélas ! — je suis aussi fidèle que la fidélité la plus ingénue, — et aussi ingénue que la plus enfantine fidélité !

CRESSIDA.

— En cela je rivaliserai avec vous.

TROYLUS.

Ô vertueux combat, — quand la loyauté lutte avec la loyauté à qui sera la plus loyale ! — Dans les temps à venir, les amoureux fidèles — jureront de leur fidélité par Troylus ; quand leur poésie, — pleine de protestations, de serments et de grandes comparaisons, — sera à bout d’images, quand leur fidélité sera lasse de répéter — qu’elle est fidèle comme l’acier, fidèle comme le