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LES JALOUX.

Mycènes et d’Argos. Il fallait en expulser la passion moderne, cette usurpatrice, et restaurer triomphalement dans son Olympe, au milieu de sa cour de dieux, la fatalité païenne.

Dans cette situation grave, Shakespeare redoubla d’audace. Ses adversaires voulaient qu’il se prosternât devant les statues homériques. Que fit-il ? Il les renversa les unes après les autres de leurs piédestaux. Au nom d’une philosophie supérieure, il jugea tous ces êtres prétendus surhumains que l’antiquité avait exaltés jusqu’à l’apothéose ; il montra du doigt leurs faiblesses ; il railla leurs infirmités, et, sous une grêle d’épigrammes, il les fit tomber à jamais du sublime dans le ridicule. — Votre Agamemnon, cria-t-il à ses adversaires, votre Agamemnon, « le roi des hommes » est un peureux qui se cache derrière Ajax. Votre « divin » Ulysse n’est qu’un intrigant qui pratique la petite politique : diviser pour régner. Votre Ajax, « rempart des Grecs, » n’est qu’une bête à qui l’on fait labourer le champ de bataille en lui disant : Hue donc ? Votre Achille « aux pieds légers » n’est qu’un lâche qui tue les gens désarmés. Votre « belliqueux Diomède, » celui qui blesse Vénus à la main, vous savez, eh bien, ce n’est qu’un fat et un bravache. Votre Pandarus, « cet illustre fils de Lycaon, cet habile archer instruit par Apollon lui-même, » eh bien, ce n’est qu’un ruffian. Votre Hélène, « la plus noble des femmes, » n’est qu’une… catin. Et, quand à votre siége de Troie, il n’est que le monstrueux coup de corne de Ménélas ! »

C’est par cet immense sarcasme que Shakespeare répondit aux prôneurs exclusifs de l’antiquité. — Renoncez à des traditions barbares, lui disaient les Scudérys du seizième siècle ; cessez de nous raconter notre époque, notre civilisation, notre histoire nationale, nos aïeux. Il s’agit bien du père de Cordélia ; parlez-nous du père