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SCÈNE III.
sous la constellation de Saturne, tu essaies d’appliquer un remède imaginaire à un mal incurable. Je ne sais pas cacher ce que je suis. J’ai bien le droit, quand j’en ai le sujet, d’être triste et de ne sourire aux plaisanteries de personne ; quand j’ai faim, de manger et de n’attendre la permission de personne ; quand j’ai sommeil, de dormir et de ne m’occuper des affaires de personne ; quand je suis gai, de rire et de ne caresser l’humeur de personne.
CONRAD.

D’accord ; mais vous ne devriez pas montrer pleinement vos impressions, avant de pouvoir le faire en maître. Vous vous êtes récemment soulevé contre votre frère, et il vous a tout nouvellement replacé dans sa faveur : or, vous ne pourrez y prendre vraiment racine que si vous maintenez le beau temps. Il faut que vous fassiez la saison nécessaire à votre récolte.

DON JUAN.

J’aimerais mieux être un ver sur une ronce qu’une rose épanouie dans sa faveur. Je m’accommode mieux d’être dédaigné de tous que de contraindre mes allures pour extorquer leur sympathie. S’il est impossible de dire que je suis un honnête homme flatteur, il sera du moins avéré que je suis un franc coquin. On me lâche avec une muselière ! on me fait voler à l’attache ! Eh bien, je suis décidé à ne pas chanter dans ma cage. Si j’étais démuselé, je mordrais ; si j’avais ma liberté, je ferais ce qui me plairait. Jusque-là, laisse-moi être ce que je suis, et ne cherche pas à me changer.

CONRAD.

Ne pourriez-vous pas faire quelque emploi de votre mécontentement ?

DON JUAN.

J’en fais tout l’emploi possible, car je ne fais rien