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INTRODUCTION.

chose ne tourne au tragique, profite de ce moment de silence pour faire une bonne plaisanterie ; il va chercher un coussin et le fourre sous le genou du prince, en lui disant : « Maintenant agenouillez-vous tant que vous voudrez ! » Puis, pour mettre les deux amoureux tout à fait à l’aise, il prend le flambeau placé près du lit, le transporte sur la cheminée ; et, afin de se donner une contenance, s’installe au coin du feu, en feuilletant un roman qui traînait fort à propos sur une table. Dans l’intervalle, Cryseyde, revenue de son ébahissement, a repris enfin l’usage de la parole ; elle s’adresse à Troylus, toujours agenouillé, du ton le plus pathétique : « Comment la jalousie, cette méchante vipère, a-t-elle pu s’insinuer ainsi dans le cœur de son chevalier ? Tu le sais, grand Dieu, ni en pensée, ni en action, jamais Cryseyde ne fut infidèle à Troylus. » Cela dit, elle laisse retomber sa jolie tête sur l’oreiller et se met à fondre en larmes. Troylus a l’âme trop tendre pour ne pas être profondément ému de la douleur qu’il a causée à sa dame. En voyant couler ses pleurs, il se trouve mal et tombe à la renverse, évanoui. Scène indescriptible. Pandarus s’élance au secours du prince : « Du calme, ma nièce, ou nous sommes perdus. » Ce disant, il enlève Troylus dans ses bras et l’étend sur le lit. Troylus est toujours immobile. Il n’y a plus à hésiter. Il faut bien vite le débarrasser de ces vêtements qui l’étouffent. En un instant Pandarus a déshabillé son pauvre ami ; il ne lui a laissé que sa chemise. Inutile soulagement : Troylus ne respire pas encore. Ce cher Pandarus est aux cent coups : « Ma nièce, si vous ne m’aidez pas, votre Troylus est perdu ! » Bien cruelle serait Cryseyde de résister à cet appel suppliant : la voilà qui, à son tour, se penche sur le prince et l’implore de sa voix la plus douce : « Voyons, mon cher cœur ! je ne suis pas fâchée, je vous le jure. Parlez-