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LE CONTE D’HIVER.

TROISIÈME GENTILHOMME.

Alors, vous avez perdu un spectacle qu’il fallait voir, un spectacle inexprimable ! Vous auriez vu une joie couronner l’autre, mais tellement que la douleur semblait prendre en pleurant son congé, car leurs joies fondaient en larmes ! Ce n’étaient que regards levés au ciel, mains tendues, et de tels désordres de physionomie qu’on ne les reconnaissait plus au visage, mais aux vêtements ! Notre roi, presque hors de lui-même dans la joie d’avoir retrouvé sa fille, comme si cette joie était devenue tout à coup un deuil, s’écrie : Oh ! ta mère ! ta mère ! puis il demande pardon au Bohémien ; puis il embrasse son gendre ; puis de nouveau il étreint sa fille à l’étouffer ; enfin il remercie le vieux berger, resté là comme un aqueduc délabré qui a vu bien des règnes. Je n’ai jamais ouï parler d’une pareille entrevue ; elle estropie le récit qui veut la suivre, et brave la description.

PREMIER GENTILHOMME.

Et qu’est devenu, je vous prie, cet Antigone qui avait emporté l’enfant ?

TROISIÈME GENTILHOMME.

C’est encore une vieille histoire qui trouverait des narrateurs quand la confiance serait éteinte et toutes les oreilles fermées : il a été mis en pièces par un ours. C’est ce qu’affirme le fils du berger : outre sa candeur, qui semble grande, ce qui garantit son récit, c’est la production du mouchoir et des bagues d’Antigone que Pauline a reconnus.

PREMIER GENTILHOMME.

Qu’est-il advenu de son navire et des gens qui l’accompagnaient ?

TROISIÈME GENTILHOMME.

Tous naufragés sous les yeux du berger, à l’instant