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TROYLUS ET CRESSIDA, BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN, ETC.

amoureuse timide qui fait pitié. Ainsi, par exemple, voici ce que devient, dans le drame revu et corrigé par Dryden, le monologue si caractéristique qui termine la scène ii et dans lequel Cressida fait une théorie si savante de la coquetterie :

CRESSIDA, seule.

Par ce même gage vous êtes un procureur, mon oncle ! — Nous autres femmes, nous sommes un sexe étrangement dissimulé. — Nous pouvons bien tromper les hommes, quand nous nous trompons nous-mêmes. — Longtemps mon âme a aimé secrètement Troïlus. — J’ai, de la bouche de mon oncle, aspiré ses louanges, — comme si mes oreilles n’en pouvaient être rassasiées ; — pourquoi alors, pourquoi n’ai-je pas dit que j’aimais ce prince ? — Comment ma langue a-t-elle pu conspirer contre mon cœur, jusqu’à dire que je ne l’aime pas ? amour puéril ! — Il est dans ses jeux comme un enfant gâté, — et ce qu’il désire le plus, il le rejette.

(7) Ce serait une étude curieuse de comparer ce cartel tout chevaleresque avec le défi héroïque adressé par Hector aux chefs grecs dans le septième livre de l’Illiade.

(8) Pour créer, comme dit Ulysse, cette brute d’Ajax, Shakespeare paraît avoir confondu en un seul deux personnages que l’antiquité homérique distingue, Ajax, fils de Télamon, et Ajax, fils d’Oilée. L’Ajax de Shakespeare est, par sa mère, parent d’Hector, comme l’est, dans la fable antique, le fils de Télamon ; et il a, en même temps, le caractère que la tradition du moyen âge attribue au fils d’Oilée :

« Ajax, fils d’Oilée était très-corpulent ; — il mettait tous ses soins à être bien vêtu ; — il était très-élégant dans sa riche tenue, quoi-qu’il fût massif de corps — Il avait de grands bras avec des épaules carrées et larges ; — sa personne était presque une charge de cheval. — Haut de stature, et bruyant au milieu de la foule, — il avait la parole rude et désordonnée, et s’emportait souvent en vaines paroles. » Lydgate, qui a peint ainsi le fils d’Oilée, représente, au contraire, le fils de Télamon comme disert, vertueux, fort bon musicien, hardi à la bataille et dénué de toute vaine pompe.

(9) Voir au deuxième livre de l’Iliade la scène analogue entre Thersite et Ulysse.

(10) Cette vieille tante de Troylus est Hésione, sœur de Priam. Hercule, pour se venger de Laomédon, l’avait enlevée et livrée à Télamon, qui eut d’elle Ajax.