Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1868, tome 4.djvu/503

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
499
LE ROMAN DE TROYLUS.

tant pleuré lui et moi, que je me merveille bien d’où sont pu issir tant de larmes. Ô cousine, que ferez-vous ? Ne prendrez-vous aucun confort, pendant que l’heure approche que vous tiendrez votre doux ami entre vos bras ? Levez-vous et vous radoubez, qu’il ne vous trouve pas ainsi échevelée. S’il savait que vous fussiez en cet état, il se tuerait et nul ne l’en saurait garder. Levez-vous et vous mettez en état que vous puissiez alléger son mal et non pas l’empirer. — « Mais Brisaïda, allez quérir mon ami, car je m’efforcerai, et vous parti, incontinent me lèverai de ce lit, et tiendrai célé dedans mon cœur au mieux que je pourrai mon grand mal à mon plaisir perdu. Faites tant seulement qu’il vienne en la manière comme il a fait l’autre fois. Il trouvera l’huis appuyé comme il a accoutumé. » Comme il fut temps et heure, Brisaïda s’en vint aux lieux où était Troylus avec un flambeau en sa main ardent. Il la reçut entre ses bras et elle lui, si pris de douleurs que plus ne pouvaient. Ni l’un ni l’autre ne savaient cacher la grande douleur que leurs cœurs sentaient ; mais en eux accollant sans mot dire, commencèrent pleurs innumérables. Ils cuidaient parler, mais ils ne pouvaient. Si commença Brisaïda à s’affaiblir, et ses forces se départirent, et s’en cuida l’âme fuir du corps. Lors Troylus la commence à regarder et l’appeler ; et, voyant qu’elle ne lui répondait point et avait les yeux clos, cuida bien qu’elle était morte. Et le pauvre douloureux lui mettait souvent la main puis à la bouche, puis au nez, et outre lui tâtait le pouls. Elle était froide et sans aucun sentiment que Troylus pût connaître. Puis lui baisa Troylus les lèvres, puis mit le corps d’elle en étendue tout ainsi qu’on a accoutumé à mettre ceux dont l’âme est issue ; et ceci fait, tira du fourreau sa propre épée, tout disposé de prendre la mort, afin que son esprit fût avec celui de sa dame. Adoncques