Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1868, tome 5.djvu/18

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
14
LES JALOUX.

pour fuir comme le lui disait Euriante : il fait face au monstre, engage avec lui une lutte terrible et finit par lui trancher la tête. Mais ce triomphe inespéré, à qui le doit-il ? À Euriante. Le bourreau a été sauvé par la victime. Aura-t-il donc la cruauté de donner la mort à celle qui vient de lui donner la vie ? Non. Ce serait trop d’ingratitude, pense Gérard.

Hé ! Dex ! dist-il, que porai faire ?
Comment porai-jou riens méfaire
Cheli qui de mort m’a gari !

Désarmé par ce raisonnement, le comte consent à épargner madame Euriante et l’abandonne au milieu de la forêt, en la recommandant à Dieu le Père.

Ici les deux amants se perdent de vue et il arrive à chacun d’eux une série d’aventures qui n’ont plus aucun rapport avec notre sujet, et dont le récit n’occupe pas moins de quatre mille vers dans le Roman de la Violette. Il suffira à nos lecteurs de savoir que, peu de temps après avoir quitté la forêt, Gérard acquiert la preuve de l’innocence d’Euriante. Le moyen imaginé par le romancier pour fournir cette preuve à son héros est assez simple. Déguisé en ménestrel, le comte s’est introduit dans le château de Nevers et il a surpris par un heureux hasard, une conversation intime entre Lisiart et la vieille Gondrée, qui lui a révélé toute l’imposture. Aussitôt, accablé de remords, Gérard se met à la recherche de sa dame ; il parcourt le monde, et après avoir erré de ville en ville, de province en province, arrive dans la plaine de Metz. Là, au milieu d’une foule immense qui se presse comme à une fête, il aperçoit un bûcher dressé, et devant ce bûcher une jeune femme en chemise, agenouillée et faisant sa prière. Il demande quel crime a commis cette misérable. On lui répond qu’elle va être brûlée vive, comme