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SCÈNE XX.
milles ! est-ce possible ? — j’ai marché toute la nuit !… Ma foi, je vais m’étendre à terre et dormir.
Elle touche le corps de Cloten.

— Mais, doucement ! pas de camarade de lit.

Elle se réveille.

Oh ! dieux et déesses ! — Ces fleurs sont comme les joies de ce monde ; — ce cadavre sanglant, c’est le souci qu’elles cachent… J’espère que je rêve encore : — je songeais que j’étais ménagère d’une caverne, — et cuisinière chez d’honnêtes gens. Mais cela n’est pas… — C’est un trait imaginaire lancé dans le néant, — et sorti des fumées du cerveau… Nos yeux même — sont parfois comme nos jugements aveugles… En vérité, — je tremble toujours de peur. Ah ! — s’il reste encore au ciel une goutte de pitié, pas plus grande — que l’œil d’un roitelet, dieux redoutés, donnez-m’en une part… — Le rêve est toujours là ; maintenant même que je suis éveillée, — il est hors de moi, comme en moi. Je ne l’ai pas imaginé, j’ai bien senti… — Un homme décapité !

Elle examine le cadavre.

Les vêtements de Posthumus ! — Je reconnais la forme de sa jambe ; voici sa main, — son jarret de Mercure, sa taille martiale, — ses muscles herculéens ; mais sa face de Jupiter ?… — Assassinerait-on au ciel ?… Comment ! elle n’est plus là ?

Elle se relève, échevelée.

Ah ! Pisanio, — que toutes les malédictions qu’Hécube en délire jeta aux Grecs — tombent sur toi, jointes aux miennes ! C’est toi qui, — complice de Cloten, ce démon effréné, — a égorgé mon seigneur !… Que désormais écrire et lire — soient déclarés trahison ! Ce damné Pisanio ! — avec ces lettres fabriquées, ce damné Pisanio, — il a abattu le grand mat du plus beau vaisseau — du monde !… Ô Posthumus ! hélas ! — où est ta tête ? où est-