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INTRODUCTION.

Grenade, rappellent, par leurs proportions démesurées, ces bizarres figures des anciennes tapisseries qui dépassent de la moitié du corps le niveau des plus hautes tours. Les événements n’y sont pas à leur plan plus que les personnages ; ils ne se tiennent pas, ils se heurtent ; ils ne s’enchaînent pas, ils tombent les uns sur les autres. N’importe ; ne riez pas trop de ce Miracle. Il est le premier effort d’un art qui commence ; il est au drame futur ce que l’ébauche est à la statue, ce que serait une esquisse de Cimabué enfant à un tableau magistral du vieux Titien. Tout défectueux, tout puéril qu’il est, ce Miracle doit avoir, à nos yeux, un mérite considérable : il affirme, dans son exagération même, ce grand principe de l’art, comme de la politique, la liberté. Il fait aller et venir ses personnages selon les besoins du sujet, sans le moindre souci des règles factices qui plus tard taquineront tant notre Corneille. Il supprime les distances sociales comme les barrières physiques : il ne craint pas de faire causer une princesse d’Espagne avec un bourgeois. Que dis-je ? En vertu de sa fantaisie souveraine, il rapproche le ciel et la terre, et, le moment venu, quand l’action s’est par trop compliquée, il la fait dénouer par le bon Dieu.

Disons en peu de mots le scénario de cet audacieux mélodrame. Othon, neveu de l’empereur Lothaire, épouse Denise, fille du roi d’Espagne Alphonse, qu’il a faite prisonnière au sac de Burgos. Le jour même du mariage, il éprouve, on ne sait pourquoi, le besoin de planter là sa femme et de s’en retourner à Rome avec l’empereur son oncle. Néanmoins, avant de se séparer de Denise, il veut lui laisser un petit souvenir et lui remet un os d’un des doigts de son pied qu’il lui recommande de ne laisser voir à aucun homme. Arrivé à Rome, il rencontre un certain Bérenger, qui prétend séduire toutes les femmes