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APPENDICE.

devint aisément pitoyable. Par quoi, ayant pris ses habillements et lui ayant baillé un méchant pourpoint, et un chaperon, il lui laissa quelque argent qu’elle avait, et la pria qu’elle s’éloignât de ce pays, la laissant à pied en cette vallée ; puis s’en alla vers son maître, auquel il dit n’avoir seulement accompli son commandement, mais aussi qu’il avait laissé le corps mort d’elle à la gueule de plusieurs loups. Bernard, quelque temps après, s’en retourna à Gênes, et étant le fait découvert, fut fort blâmé.

La dame demeurée seule, et déconsolée, sitôt que la nuit fut venue, s’étant contrefaite le plus qu’elle put, s’en alla en un petit village près de là, où, ayant recouvré d’une vieille femme ce qui lui était nécessaire, elle racoutra le pourpoint à son dos, et l’acourcit ; puis ayant fait de sa chemise une paire de chausses à la marine, et s’étant tondue, et déguisée toute en habit d’un marinier, s’en alla vers la mer, où elle trouva par fortune un gentilhomme catalan qui se nommait seigneur Encarach, le quel était descendu d’un sien navire qui était arrivé un peu loin de là à Albe, et était venu pour se rafraîchir à une fontaine, avec lequel seigneur elle entra en parole, et s’accorda de le servir, puis monta sur le navire, se faisant appeler Sicuran du Final ; et là fut mise en meilleur ordre d’accoutrement, par le gentilhomme, lequel elle commença à servir si bien et si à propos, qu’elle lui fut agréable outre mesure.

Il advint de là à peu de temps que ce Catalan navigua avec une sienne charge à Alexandrie et porta certains faucons passagers qu’il présenta au soudan, lequel fît quelquefois dîner ce Catalan à sa table ; et ayant vu les façons de faire de Sicuran, qui toujours servait son maître, dont il lui plut fort, le demanda au Catalan, lequel, encore que ce fût mal volontiers, le lui laissa. Sicuran, en peu de temps, fit si bien, qu’il acquit non moins la grâce du sou-