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LES JALOUX.

part au galop, et, avant qu’il soit tout à fait brisé par les pierres du chemin, on le pend à un arbre. Souvenez-vous de l’épouvantable supplice infligé dans le Décaméron au calomniateur de Ginevra : on l’empale, on l’enduit de miel et on le donne à dévorer aux moustiques. Sans doute, Iachimo s’attend à quelque torture de ce genre, lorsque, se jetant aux pieds du mari outragé, il lui offre sa vie en expiation. Mais Posthumus se contente de relever l’homme agenouillé en lui disant : « Ma vengeance envers vous, c’est de vous pardonner. Vivez et agissez mieux avec d’autres. »

Cette correction finale faite par le drame à la légende primitive est bien digne de Shakespeare. Jusque-là, remarquez-le bien, le poëte avait respecté la fable originale dans ses éléments essentiels ; il en avait adopté et mis en relief les principaux accidents. Iachimo est coupable de calomnie et de lâcheté, tout autant que Lisiart et qu’Ambrogiulo ; Shakespeare n’a pas cherché à atténuer sa faute, il en fait même ressortir toutes les conséquences ; mais, interprète d’une justice supérieure, il n’a pas voulu confirmer l’affreuse sentence prononcée jadis contre le coupable. Quoi ! punir du gibet un mensonge ? punir du pal une diffamation ? Cela a pu paraître équitable à Gilbert de Montreuil, ménétrier du treizième siècle ; cela a pu sembler juste à Boccace, conteur du quatorzième, mais cela paraît monstrueux à Shakespeare, poëte de tous les temps. Ah ! que plutôt le coupable se repente, et qu’il soit absous ! Telle est la conclusion définitive que l’auteur adopte et qui seule satisfera l’avenir. La légende avait crié : mort ! le drame dit : pardon ! L’œuvre de Shakespeare, c’est l’idée du moyen âge épurée par l’esprit moderne.

Cymbeline est le seul drame du poëte dont le dénoûment produise une satisfaction complète dans l’âme du