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LES JALOUX.

d’une robe verte. Le Lieu demandait au Temps pourquoi son sablier était arrêté et pourquoi lui-même ne bougeait pas. Le Temps répondait qu’il avait interrompu sa marche pour recevoir la merveille du jour et engageait son camarade, le Lieu, à se joindre à lui pour la fêter, si toutefois il n’était pas trop petit. — Trop petit ! répliquait le Lieu avec fierté, n’ai-je pas reçu tout à l’heure le soleil qui vient de descendre là-bas derrière l’horizon ? Celui chez qui s’est arrêté Apollo en personne est-il donc indigne de recevoir Cinthia elle-même ? — Ce compliment, où la reine septuagénaire était comparée à Diane, dut paraître d’un goût plus que douteux à Élisabeth elle-même. Heureusement, en compensation de toutes ces misères, lady Derby tenait en réserve pour son illustre hôtesse un régal exquis, une incomparable surprise, la représentation d’une pièce nouvelle par la troupe de milord Chambellan.

Cette pièce était de maître William Shakespeare et s’appelait Othello, le More de Venise.

Un théâtre avait été improvisé dans la plus vaste salle du château. Au fond, les coulisses et la scène dissimulées par un rideau ; sur le devant, un fauteuil pour Sa Majesté et des tabourets pour les femmes de la cour, puis des banquettes pour la foule des seigneurs et des gentilshommes. Ici les acteurs, couverts de fard, costumés d’oripeaux, chamarrés de clinquant, jouant leur comédie et méprisés pour cela. Là les courtisans, couverts de fard aussi, costumés d’oripeaux aussi, chamarrés de clinquant aussi, jouant leur comédie aussi et honorés pour cela. — La chronique ne sait pas quels furent les spectateurs privilégiés qui, au mois de juillet 1602, assistèrent à la représentation d’Othello. Mais un hasard a fait retrouver récemment, dans un manuscrit conservé à Bridgewater-House, les noms des heureuses qui furent