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LES JALOUX.

Elle se laissait séduire ! Elle se laissait charmer ! Elle ne savait plus de quelle couleur était la peau du More, elle ne voyait plus que ses yeux étincelants, sa figure enflammée, sa physionomie rayonnante d’expression, et elle le trouvait beau ! Cette histoire sublime lui semblait la plus noble déclaration d’amour qu’une femme pût écouter, et elle y répondait elle-même par un aveu. L’insensée ! elle était dupe de son émotion. Le preux qu’elle admirait était un sauvage ! Le paladin dont elle était éprise était un barbare ! Plutôt que de se faire enlever par cet Africain, que n’a-t-elle épousé le premier venu de sa race ? Qui sait ? pourquoi pas Roderigo ? Roderigo, tout niais qu’il est, a sur Othello un avantage marqué : il est blanc !

Telle est la conclusion qu’il faut logiquement tirer de l’opinion émise par Schlegel et répétée par d’autres. Le mariage d’Othello et de Desdémona est une alliance contre nature dont la belle Vénitienne doit être nécessairement la victime. Selon le critique allemand, celle-ci a commis « l’erreur de se marier sans le consentement de son père, » et sa mort n’est que l’expiation de cette erreur, et la morale qui résulte de l’action, c’est qu’il ne faut pas croiser les races, et qu’une union mal assortie est nécessairement fatale ! Est-ce donc là la pensée de Shakespeare ? Est-ce donc à ces proportions infimes qu’il faut réduire l’idée de cette œuvre colossale ? Quoi ! est-ce que vous ne sentez pas qu’en amoindrissant le caractère d’Othello, vous rapetissez le drame tout entier ? Ah ! laissez à cette grande figure la taille que l’auteur lui a faite. Othello, dites-vous, n’a de vertus qu’en apparence ? Et quand donc le poëte vous a-t-il autorisés à porter un tel jugement ?

De l’aveu de tous, de l’aveu de Iago lui-même qui pourtant « ne peut pas le souffrir, » Othello a sur tous