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ANTOINE ET CLÉOPÂTRE.

ANTOINE.

Silence ! — ce n’est pas la valeur de César qui a renversé Antoine, — c’est Antoine qui a triomphé de lui-même.

CLÉOPÂTRE.

— Cela devait être : nul autre qu’Antoine — ne devait vaincre Antoine ; mais quel malheur que cela soit !

ANTOINE.

— Je suis mourant ; Égypte, je suis mourant, mais — j’implore de la mort un répit, jusqu’à ce que, — de tant de milliers de baisers, j’aie déposé — sur tes lèvres le pauvre dernier.

CLÉOPÂTRE.

Je n’ose pas, cher — (mon cher seigneur, pardon !), je n’ose pas descendre, — de peur d’être prise. Jamais l’impérieuse parade — du fortuné César ne sera — rehaussée par ma présence. Si les couteaux, les poisons, les serpents — ont une pointe, un dard, une action, je suis sauvegardée. — Ta femme Octavie, avec ses regards prudes — et son sang-froid impassible, n’aura pas l’honneur — de me dévisager… Mais viens, viens, Antoine… — Aidez-moi, mes femmes. Il faut que nous le montions ! — Assistez-moi, mes bons amis.

Elle jette par la fenêtre des cordes auxquelles les gardes attachent Antoine ; puis elle hisse celui-ci, avec l’aide de ses femmes.
ANTOINE.

Oh ! vite, ou je suis à bout.

CLÉOPÂTRE, tirant sur les cordes.

— Voilà un exercice, en vérité !… Combien monseigneur est pesant ! — Notre force s’en va toute dans la douleur — qui nous accable. Si j’avais le pouvoir de la grande Junon, — Mercure t’enlèverait sur ses robustes ailes — et te déposerait aux côtés de Jupiter… Viens.