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ROMÉO ET JULIETTE.
— leur sépulcre est sa matrice même. — Les enfants de toute espèce, sortis de son flanc, — nous les trouvons suçant sa mamelle inépuisable ; — la plupart sont doués de nombreuses vertus ; — pas un qui n’ait son mérite, et pourtant tous différent (78) ! — Oh ! combien efficace est la grâce qui réside — dans les herbes, dans les plantes, dans les pierres et dans leurs qualités intimes ! — il n’est rien sur la terre de si humble — qui ne rende à la terre un service spécial ; — il n’est rien non plus de si bon qui, détourné de son légitime usage, — ne devienne rebelle à son origine et ne tombe dans l’abus. — La vertu même devient vice, étant mal appliquée, — et le vice est parfois ennobli par l’action.
Entre Roméo.
LAURENCE, prenant une fleur dans un panier.

— Le calice enfant de cette faible fleur — recèle un poison et un cordial puissants : — respirez-la, elle stimule et l’odorat et toutes les facultés ; — goûtez-la, elle frappe de mort et le cœur et tous les sens. — Deux reines ennemies sont sans cesse en lutte — dans l’homme comme dans la plante, la grâce et la rude volonté ; — et là où la pire prédomine, — le ver de la mort a bien vite dévoré la créature.

ROMÉO.

— Bonjour père.

LAURENCE.

Benedicite ! — Quelle voix matinale me salue si doucement ? — Jeune fils, c’est signe de quelque désordre d’esprit, — quand on dit adieu sitôt à son lit. — Le souci fait le guet dans les yeux du vieillard, — et le sommeil n’entre jamais où loge le souci. — Mais là où la jeunesse ingambe repose, le cerveau dégagé, — là règne le sommeil d’or. — Je conclus donc de ta visite matinale