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ROMÉO ET JULIETTE.

SCÈNE XIII.
[L’appartement de Juliette. (100)]
Entre Juliette.
JULIETTE.

— Retournez au galop, vous coursiers aux pieds de flamme, — vers le logis de Phébus ; déjà un cocher — comme Phaéton vous aurait lancés dans l’ouest — et aurait ramené la nuit nébuleuse… — Étends ton épais rideau, nuit vouée à l’amour, — que les yeux de la rumeur se ferment et que Roméo — bondisse dans mes bras, ignoré, inaperçu ! — Pour accomplir leurs amoureux devoirs, les amants y voient assez — à la seule lueur de leur beauté ; et, si l’amour est aveugle, — il s’accorde d’autant mieux avec la nuit… Viens, nuit solennelle, — matrone au sobre vêtement noir, — apprends-moi à perdre, en la gagnant, cette partie — qui aura pour enjeux deux virginités sans tache ; — cache le sang hagard qui se débat dans mes joues, — avec ton noir chaperon, jusqu’à ce que le timide amour, devenu plus hardi, — ne voie plus que chasteté dans l’acte de l’amour ! — À moi, nuit ! Viens, Roméo, viens : tu feras le jour de la nuit, — quand tu arriveras sur les ailes de la nuit, — plus éclatant que la neige nouvelle sur le dos du corbeau. — Viens, gentille nuit ; viens, chère nuit au front noir, — donne-moi mon Roméo, et, quand il sera mort, — prends-le et coupe-le en petites étoiles, — et il rendra la face du ciel si splendide — que tout l’univers sera amoureux de la nuit — et refusera son culte à l’aveuglant soleil… — Oh ! j’ai acheté un domaine d’amour, — mais je n’en ai pas pris possession, et celui qui m’a acquise —