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ROMÉO ET JULIETTE.

honneur. — Réponds-moi sans retard ; il me tarde de mourir — si ta réponse ne m’indique pas de remède !

LAURENCE.

— Arrête, ma fille ; j’entrevois une espérance possible, — mais le moyen nécessaire à son accomplissement — est aussi désespéré que le mal que nous voulons empêcher. — Si, plutôt que d’épouser le comte Pâris, — tu as l’énergie de vouloir te tuer, — il est probable que tu oseras affronter — l’image de la mort pour repousser le déshonneur, — toi qui, pour y échapper, veux provoquer la mort elle-même. — Eh bien, si tu as ce courage, je te donnerai un remède.

JULIETTE.

— Oh ! plutôt que d’épouser Pâris, dis-moi de m’élancer — des créneaux de cette tour là-bas, — ou d’errer sur le chemin des bandits ; dis-moi de me glisser — où rampent des serpents ; enchaîne-moi avec des ours rugissants ; — enferme-moi, la nuit, dans un charnier, — sous un monceau d’os de morts qui s’entre-choquent, — de moignons fétides et de crânes jaunes et décharnés ; — dis-moi d’aller, dans une fosse fraîche remuée, — m’enfouir sous le linceul avec un mort : — ordonne-moi des choses dont le seul récit me faisait trembler, — et je les ferai sans crainte, sans hésitation, — pour rester l’épouse sans tache de mon doux bien-aimé (109) !

LAURENCE.

— Écoute alors : rentre à la maison, aie l’air gai et dis que tu consens — à épouser Pâris. C’est demain mercredi. — Demain soir, fais en sorte de coucher seule ; — que ta nourrice ne couche pas dans ta chambre ; — une fois au lit, prends cette fiole — et avale la liqueur qui y est distillée. — Aussitôt dans toutes tes veines se répandra — une froide et léthargique humeur : le pouls suspendra — son mouvement naturel et cessera de battre ;