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NOTES.

(7) « J’ai autrefois ouï raconter à mon grand-père Lampryas qu’un Philotas, médecin, natif de la ville d’Amphissa, lui contait comme en ce temps-là il était en Alexandrie, étudiant en son art de médecine, et que l’un des maîtres cuisiniers de la maison d’Antonius, auquel il avait pris connaissance, le mena avec lui comme un jeune homme curieux de voir, pour lui montrer le grand appareil et la somptuosité d’un seul souper. Quand il fut en la cuisine, il y vit une infinité de viandes, et, entre autres, huit sangliers tout entiers qu’on rôtissait, dont il fut fort ébahi, disant qu’il devait avoir grand nombre de gens à ce souper. Le cuisinier s’en prit à rire, et lui répondit qu’il n’y en avait pas beaucoup, mais environ douze seulement : mais qu’il fallait que tout ce qui était mis sur la table fut cuit et servi à son point, lequel se gâte et se passe en un moment, et Antonius voudra peut-être souper tout à cette heure, ou bien d’ici à un peu de temps, ou possible qu’il le différera plus tard, pour ce qu’il aura bu sur jour, ou qu’il sera entré en quelque long propos : et à cette cause on prépare, non un souper seul, mais plusieurs pour autant qu’on ne saurait deviner l’heure qu’il voudra souper. »

(8) « Étant Antonius de telle nature, le dernier et le comble de tous ses maux, c’est à savoir l’amour de Cléopatra, lui survint qui éveilla et excita plusieurs vices qui étaient encore cachés en lui : et s’il lui était resté quelque scintille de bien et quelque espérance de ressource, elle l’éteignit du tout et le gâta encore plus qu’il n’était auparavant. Si fut pris en cette manière : ainsi qu’il allait pour faire la guerre contre les Parthes, il envoya ajourner Cléopatra à comparoir en personne par-devant lui quand il serait en la Cilicie, pour répondre aux charges et imputations qu’on proposait à l’encontre d’elle. Si Cléopatra fit provision de quantité de dons et de présents, de force or et argent, de richesses et de beaux ornements, comme il est croyable qu’elle pouvait apporter d’une si grande maison et d’un si opulent et si riche royaume comme celui d’Égypte. Mais pourtant elle ne porta rien avec elle en quoi elle eût tant d’espérance ni de confiance comme en soi-même, et aux charmes et enchantements de sa beauté et bonne grâce. Par quoi, combien qu’elle fût mandée par plusieurs lettres, tant d’Antonius même que de ses amis, elle en fit si peu de compte et se moqua tant de lui, qu’elle n’en daigna autrement s’avancer, sinon que de se mettre sur le fleuve Cydnus dedans un bateau dont la poupe était d’or, les voiles de pourpre, les rames d’argent, qu’on maniait au son et à la cadence