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ANTOINE ET CLÉOPATRE, ROMÉO ET JULIETTE.

(30) « Après qu’Antonius se fut frappé, ainsi qu’on le portait dedans les sépulcres à Cléopatra, l’un de ses gardes, nommé Dercetaus, prit l’épée de laquelle il s’était frappé, et la cacha : puis se déroba secrètement, et fut le premier qui porta la nouvelle de la mort à César, et en montra l’épée encore toute teinte de sang. César, ces nouvelles ouïes, se retira incontinent au plus secret de sa tente, et illec se prit à pleurer par compassion, et à plaindre sa misérable fortune, comme de celui qui avait été son allié et son beau-frère, son égal en empire, et compagnon en plusieurs exploits d’armes et grandes affaires : puis appela tous ses amis, et leur montra les lettres qu’il lui avait écrites et ses réponses aussi durant leurs différends et querelles, et comment à toutes les choses justes et raisonnables qu’il lui écrivait, l’autre lui répondait fièrement et arrogamment. Cela fait, il y envoya Proculeius, lui commandant qu’il fît tout devoir et toute diligence de ravir Cléopatra vive, s’il pouvait, pour autant qu’il craignait que son trésor ne fût perdu, et davantage qu’il estimait que ce serait un grand ornement de son triomphe, s’il la pouvait prendre et mener vive à Rome. »

(31) « Mais elle ne se voulut point mettre entre les mains de Proculeius : toutefois ils parlèrent ensemble, car Proculeius s’approcha près des portes, qui étaient grosses et fortes et sûrement barrées : mais il y avait quelques fentes par où la voix pouvait passer, et entendait-on qu’elle demandait le royaume d’Égypte pour ses enfants, et que Proculeius lui répondait qu’elle eût bonne espérance, et qu’elle ne doutât point de commettre tout au bon vouloir de César. Après qu’il eût bien regardé et considéré le lieu, il vint faire son rapport à César, lequel envoya derechef Gallus pour parlementer encore un coup avec elle : et lui fit expressément durer le propos, cependant que Proculeius faisait dresser une échelle contre la fenêtre haute, par laquelle on avait monté Antonius et descendit dedans avec deux de ses serviteurs tout contre la porte, près de laquelle était Cléopatra, entendant à ce que Gallus lui disait. L’une des femmes qui étaient léans enfermées avec elle, avisa d’aventure Proculeius ainsi qu’il descendait et se prit à crier : Pauvre femme Cléopatra, tu es prise. Et adonc quand elle vit en se retournant Proculeius derrière elle, elle cuida se donner d’une courte dague qu’elle avait tout expressément ceinte à son côté ; mais Proculeius s’avança soudainement qui l’embrassa à deux mains, et lui dit : Cléopatra, tu feras tort à toi-même premièrement, et puis à César, lui voulant ôter l’occasion de mettre en évidence sa grande bonté et clémence, et