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LES AMANTS TRAGIQUES.

— Célie, ne me désespère pas, il s’attend à me parler cette nuit dans le jardin. J’ai promis de m’y trouver.

— Ne vous y trouvez point ; il se piquera, vous ne le verrez plus, et c’est l’unique moyen de vous guérir promptement.

En dépit des remontrances de la soubrette, Julie s’est décidée à tenir parole. La nuit est venue. La jeune fille erre seule dans l’allée, et attend Rosélo qui apparaît après avoir escaladé les murs du jardin. Tête-à-tête.

— Rosélo, écoutez-moi. J’ai fait mes réflexions… Cet amour nous mènerait trop loin l’un et l’autre. Nous sommes sur le bord d’un abîme. Tâchons de nous en écarter. Vous êtes né Montèse et je suis Castelvine. Quelle horreur si l’on découvrait que je souffre vos assiduités ! Je vois votre mort certaine, mon désespoir, ma honte inévitable. Oubliez-moi et que mon nom ne sorte jamais de votre bouche. Adieu, Rosélo, retirez-vous ! Hélas ! je tremble au moment où je vous parle ! Si mon père vous surprenait ici !

Rosélo ne tient pas compte des prières de Julie ; il ne peut pas partir, il ne partira pas. « Chère ennemie, le ciel sait que je vous obéirais si je pouvais vous obéir ; mais l’amour qui me pénètre me rend incapable d’un si grand effort. Rien ne m’épouvante. Il me serait plus doux de perdre la vie que d’être privé de la joie de vous voir[1]. » Puis, se jetant aux genoux de sa bien-aimée : « Julie, frappe ce cœur qui t’adore, répands tout le sang odieux des Montèses qui coule dans mes veines, ou donne-moi ta main : songe que le ciel nous a peut-être

  1. De même Roméo à Juliette : « Si tu ne m’aimes pas, que tes parents me trouvent ici. J’aime mieux ma vie finie par leur haine que le mort prorogée sans ton amour. »