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ANTOINE ET CLÉOPÂTRE, ROMÉO ET JULIETTE.

justifier la rencontre sanglante de Pâris et de Roméo en établissant un contraste frappant entre les sentiments des deux rivaux.

Le lecteur trouvera, traduits plus loin, de nombreux extraits du drame, imprimé en 1597. En rapprochant ces extraits des passages qui y correspondent dans le drame publié en 1599, il lui sera facile de poursuivre lui-même cette comparaison si intéressante et si instructive entre l’œuvre ébauchée et l’œuvre achevée par Shakespeare.

Les travaux des commentateurs ont été jusqu’ici impuissants à établir d’une manière certaine la date précise à laquelle Roméo et Juliette a été composé et représenté. D’après une ingénieuse conjecture de Tyrwhit qui a voulu voir dans le célèbre récit de la nourrice une allusion à un tremblement de terre ressenti à Londres en 1580, Roméo et Juliette aurait été composé sous sa forme primitive vers 1591. Quant au drame définitif, il a été terminé et joué peu de temps avant l’année 1599, ainsi que le trouve le titre même de l’édition publiée par Cuthbert Burby : « La très-excellente et lamentable tragédie de Roméo et Juliette, nouvellement corrigée, augmentée et amendée, telle qu’elle a été jouée plusieurs fois publiquement par les serviteurs du très-honorable lord Chambellan. » Si ces calculs sont exacts, il s’est écoulé entre la composition première de Roméo et Juliette et sa révision un intervalle de huit années environ durant lesquelles le poëte a publié ses poëmes, ses sonnets, presque toutes ses pièces historiques, et ces deux ravissantes comédies, le Marchand de Venise et le Songe d’une Nuit d’été.

Aucun détail ne nous est parvenu sur la mise en scène et sur la distribution des rôles de Roméo et Juliette. Nous savons seulement, d’après une mention insérée par inadvertance dans l’édition de 1623, que le personnage de Pierre, le valet de la nourrice, était représenté par l’acteur comique William Kempe qui, à en croire le témoignage d’un chroniqueur contemporain, « avait succédé au fameux Tarleton dans les bonnes grâces de la reine et dans la faveur du public. » Si un rôle aussi insignifiant était rempli par un comédien aussi renommé, il faut croire que la troupe du lord Chambellan avait tout fait pour assurer le succès du chef-d’œuvre immortel que lui avait confié William Shakespeare.

(35) Dans la pièce primitive (1597), le cœur s’exprime ainsi :

Deux familles alliées, égales en noblesse,
Dans la belle Vérone où nous plaçons notre scène,
Sont entraînées par des discordes civiles à une inimitié
Qui souille par la guerre civile les mains des citoyens.