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TROISIÈME HISTOIRE TRAGIQUE.

que je veuille exécuter. Voilà une lettre que tu présenteras demain au matin à mon père à son lever, laquelle peut-être lui sera plus agréable que tu ne penses.

Pierre ne pouvant imaginer quel était le vouloir de son maître, s’éloigna quelque peu afin de contempler ses gestes et contenances. Et lorsque le cercueil fut ouvert, Rhoméo descend deux degrés, tenant sa chandelle à la main, et commença à aviser d’un œil piteux le corps de celle qui était l’organe de sa vie, puis, l’ayant arrosée de ses larmes et baisée étroitement, la tenant entre ses bras, ne se pouvant rassasier de sa vue, mit ses craintives mains sur le froid estomac de Juliette et, après l’avoir maniée en plusieurs endroits, et n’y pouvant asseoir aucun jugement de vie, il tira la poison de sa boîte, et en ayant avalé une grande quantité, il s’écrie :

— Ô Juliette, de laquelle le monde était indigne, quelle mort pourrait élire mon cœur qui lui fût agréable que celle qu’il souffre près de toi ? quelle sépulture plus glorieuse que d’être enfermé en ton tombeau ? quelle plus digne ou excellente épitaphe se pourrait sacrer à la mémoire, que ce mutuel et piteux sacrifice de nos vies ?

Et cuidant renforcer son deuil, le cœur lui commença à frémir pour la violence du venin, lequel peu à peu s’emparait de son cœur, et, regardant çà et là, avisa le corps de Thibaut, près de celui de Juliette, lequel n’était encore du tout putréfié, parlant à lui comme s’il était vif, disait :

— Cousin Thibaut, en quelque lieu que tu sois, je te crie maintenant merci de l’offense que je fis de te priver de vie, et si tu souhaites vengeance de moi, quelle autre plus grande ou cruelle satisfaction saurais-tu désormais espérer que de voir celui qui t’a méfait, empoisonné de sa propre main et enseveli à tes côtés ?

Puis, ayant mis fin à ce propos, sentant peu à peu la