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LES AMANTS TRAGIQUES.

Saint-François, et, après qu’il eut fait entendre son affaire à frère Laurens, partit de Vérone accoutré en marchand étranger et fît si bonne diligence, que sans encombrier il arriva à Mantoue, où il loua maison, et vivant en compagnie honorable, s’essaya pour quelques mois à décevoir l’ennemi qui le tourmentait. Mais durant son absence, la misérable Juliette ne sut donner si bonne trêve à son deuil que par la mauvaise couleur de son visage, on ne découvrît aisément l’intérieur de sa passion[1]. » — Dans le drame, pas de délai. La fatalité tragique, une fois en besogne, ne s’interrompt pas. À peine Roméo a-t-il quitté la chambre nuptiale que voici venir Capulet et lady Capulet, pour signifier à leur fille que dans deux jours elle doit épouser le comte Pâris. Placée entre la foi conjugale et le respect filial, Juliette agit comme Desdémona : elle résiste, avec déférence mais avec fermeté, à l’autorité paternelle.

Alors éclate sur la jeune femme la formidable colère du père offensé. Capulet est de la même race que Brabantio. C’est un de ces seigneurs de vieille roche habitués à exercer chez eux le pouvoir absolu. Devant lui tous plient, tous s’humilient, tous tremblent. Sa femme n’est que la première de ses servantes. Il traite ses gens comme sa famille, et sa famille comme ses gens. Doué de qualités réelles, affable, hospitalier, assez bon homme au fond, Capulet devient féroce à la moindre résistance. Vous vous rappelez, pendant la scène du bal, avec quelle indignation il gourmandait son neveu Tybalt. Jugez par là combien il doit être exaspéré par la désobéissance de sa fille : « Mignonne donzelle, s’écriait-il, dispensez-moi de vos fiertés et préparez vos fines jambes pour vous rendre jeudi prochain à l’église Saint-Pierre, en com-

  1. Nouvelle de Bandello, traduite par Boisteau.