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SCÈNE I.

LE ROI.

— Que dites-vous, seigneurs ? Eh ! nous avions tout à fait oublié cela.

BIRON.

— Ainsi le zèle dépasse toujours la mesure ; — tout en s’étudiant à posséder ce qu’il désire, — il oublie la chose essentielle. — Et quand il possède l’objet qu’il a pourchassé, — sa conquête est comme celle d’une ville incendiée ; autant de gagné, autant de perdu.

LE ROI.

— Nous devons à tout prix abolir cet article ; — il faut par pure nécessité que la princesse réside ici.

BIRON.

— La nécessité nous rendra tous parjures — trois mille fois durant ces trois ans. — Car tout homme naît avec des penchants, — que peut seule maîtriser, non la volonté, mais une grâce spéciale. — Si donc je viole ma foi, j’aurai pour excuse — de m’être parjuré par pure nécessité. Conséquemment je signe sans réserve le décret tout entier.

Il écrit son nom.

— Quant à celui qui l’enfreindra dans le moindre détail, — qu’il soit condamné à une éternelle honte ! — tentations sont les mêmes pour les autres que pour moi : — aussi je crois, quelque répugnance que j’aie montrée, — que le dernier à garder son serment, ce sera moi ! — Mais est-ce qu’aucune récréation ne nous sera accordée ?

LE ROI.

— Si fait ! notre cour, comme vous le savez, — est hantée par un voyageur espagnol, un raffiné, — un homme qui est la fleur de la nouvelle mode — et qui a dans sa cervelle une mine de phrases ; — un être que la musique de sa propre langue — ravit, comme une harmonie enchanteresse ; — un homme accompli que le