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APPENDICE.

procédé, et à la fin elle leur dit que son intention n’était pas que, pour la demeure qu’elle faisait là, le Comte demeurât en perpétuel exil ; mais qu’elle délibérerait de consommer le reste de ses jours en pèlerinage, et en œuvres de miséricorde pour le salut de son âme, les priant qu’ils prissent la charge et gouvernement du pays, et qu’ils fissent entendre au Comte qu’elle lui avait laissé la possession d’icelui toute vide et toute nette, s’étant lors éloignée, avec intention de ne jamais plus retourner à Roussillon. Là furent répandues, cependant qu’elle parlait, plusieurs larmes par ces bonnes gens, et lui furent faites de très-grandes prières qu’il lui plût changer d’opinion, mais tout cela ne servit de rien.

Par quoi les ayant recommandés à Dieu, elle se mit en chemin avec un sien cousin et une sienne servante, en habit de pèlerin, bien garnie d’argent, et de précieuses bagues sans qu’aucun sût où elle allait, et jamais elle ne s’arrêta qu’elle ne fût à Florence. Où arrivée par fortune en un petit logis que tenait une bonne femme veuve, elle se contentait tout bellement comme une pauvre pèlerine désirant avoir des nouvelles de son seigneur, lequel de fortune elle vit le jour suivant passer devant le logis à cheval avec sa compagnie. Or, quoiqu’elle le connût très-bien, si demanda-t-elle toutefois à la bonne femme du logis qui il était. À qui l’hôtesse répondit :

— C’est un gentilhomme étranger lequel se nomme le Comte Bertrand de Roussillon, courtois et gracieux et fort aimé en cette ville, et si est le plus amoureux homme du monde d’une notre voisine qui est gentille femme, mais pauvre. Il est vrai qu’elle est honnête jeune fille et que par pauvreté elle ne se marie point, mais demeure avec une sienne mère, très-sage et honnête dame, et par aventure, n’était cette mère, elle eût déjà fait une partie de ce que le Comte eût voulu.

La Comtesse recueillit bien ces paroles, et examinant par le menu chaque particulier d’icelles, et ayant compris toute chose, elle prit conclusion de ce qu’elle avait à faire.