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EXTRAIT DU DÉCAMÉRON DE BOCCACE.

la bonne dame recouvrât son mari, et qu’elle se mettrait à faire cela pour bonne fin, se confiant dans sa bonne et honnête affection, non-seulement promit à la Comtesse de le faire, mais en peu de jours, avec grande cautelle suivant l’ordre qu’elle avait donné, elle eut l’anneau, combien qu’il en fît mal au cœur du Comte, et si la mit en échange de sa fille coucher avec lui.

À cette première rencontre tant affectueusement désirée par le Comte, notre Seigneur voulut que la Comtesse devînt grosse de deux beaux fils, ainsi que son enfantement, quand le temps en fut venu, en rendit certaine assurance, et non-seulement cette fois la gentille femme contenta la Comtesse de la compagnie de son mari, mais plusieurs autres, si secrètement qu’il n’en fut jamais rien su, croyant toujours le Comte avoir été non avec sa femme, mais avec celle qu’il aimait. À laquelle quand ce venait au matin qu’il fallait déloger, il donnait plusieurs belles et précieuses bagues, lesquelles la Comtesse gardait toutes très-soigneusement ; et, quand elle se sentit enceinte, elle ne voulut davantage importuner la gentille femme d’un tel plaisir, mais lui dit.

— Madame, par la grâce de Dieu et la vôtre, j’ai ce que je désirais, et par ainsi il est désormais temps que je fasse ce qu’il vous plaira, afin que puis après je m’en aille.

La gentille femme lui dit que, si elle avait eu chose qui lui fût agréable, qu’elle en avait grand plaisir ; mais qu’elle ne l’avait point fait pour aucune espérance de récompense, mais pour ce qu’il lui semblait qu’elle, pour bien faire, le devait ainsi faire. À qui la Comtesse dit :

— Cela me plaît : aussi de ma part je n’entends point de vous donner ce que vous me demanderez pour récompense du plaisir que vous m’avez fait, mais pour bien faire, et qu’il me semble que je le dois ainsi faire.

Alors la gentille femme, contrainte de nécessité, lui demanda, avec très-grande honte, cent livres pour marier sa fille. La Comtesse, connaissant sa honte et ayant