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MESURE POUR MESURE.


Entrent le prévôt, Claudio, Juliette et des exempts ; puis Lucio et les deux gentilshommes.
claudio, au prévôt.

L’ami, pourquoi me montres-tu ainsi au monde entier ? — Emmène-moi en prison, où je dois être enfermé.

le prévôi.

— Si j’agis ainsi, ce n’est pas par mauvaise intention, — c’est par l’ordre spécial du seigneur Angelo.

claudio.

— Ainsi le pouvoir, ce demi-dieu, — nous fait payer nos offenses à son poids arbitraire. — Glaive du ciel, il frappe qui il veut, — ne frappe pas qui il ne veut pas : n’importe ! il s’appelle toujours la justice ! —

lucio, s’avançant.

Eh bien, Claudio ? D’où vient cette contrainte que tu subis ?

claudio.

— De trop de liberté, mon Lucio, de trop de liberté. — De même que l’indigestion est la mère du jeûne, — de même toute licence dont on use immodérément — aboutit à une servitude. Nos natures, — comme des rats qui se jettent sur leur poison, — poursuivent le mal dont elles ont soif ; et quand nous buvons, nous sommes morts. —

lucio.

Si j’étais sûr, une fois arrêté, de parler si sagement, j’enverrais chercher quelques-uns de mes créanciers… Et pourtant, à vrai dire, j’aime mieux extravaguer en liberté que moraliser en prison… Quelle est ton offense, Claudio ?

claudio.

Rien que d’en parler serait une offense nouvelle.

lucio.

Quoi donc ! s’agit-il de meurtre ?