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SCÈNE IX.

te perds, je perds une chose — à laquelle des fous peuvent seuls tenir ; tu es un souffle, — asservi à toutes les influences climatériques, — et qui, dans la demeure où tu résides, — entretient l’affliction. Tu n’es que le jouet de la mort : — car tu t’évertues à l’éviter dans ta fuite, — et tu ne fais que courir à elle. Tu n’es pas noble : — car toutes les jouissances que tu enfantes — ont pour nourrice la bassesse. Tu n’es point vaillante : — car tu crains le mol et grêle aiguillon — d’un pauvre reptile. Ton meilleur repos est le sommeil, — et tu le provoques souvent : pourtant tu as une peur grossière — de ta mort qui n’est rien de plus. Tu n’es pas toi-même : — car tu n’es qu’un composé de milliers d’atomes — issus de la poussière. Heureuse ! tu ne l’es pas ; — car ce que tu n’as pas, tu tâches toujours de l’acquérir, — et tu dédaignes ce que tu as. Tu n’es pas stable ; — car ta nature suit les étranges errements — de la lune. Si tu es riche, tu es pauvre : car, pareille à l’âne dont l’échine ploie sous les lingots, — tu ne portes que pour une étape ton fardeau de richesses, — et la mort te décharge. Tu n’as pas d’amis : — car tes propres entrailles qui t’appellent père, — les êtres mêmes émanés de tes reins, maudissent la goutte, la lèpre et le catarrhe, — de ne pas t’achever plus tôt. Tu n’as ni la jeunesse ni la vieillesse, — mais, comme en une sieste d’après-dîner, — la vision de toutes deux : car toute ta bienheureuse jeunesse — prend l’âge de ta vieillesse et mendie l’aumône — de la caducité paralytique ; et quand tu es vieille et riche, — tu n’as plus ni chaleur, ni affection, ni énergie, ni beauté, — pour jouir de tes richesses. Qu’y a-t-il donc — dans ce qu’on appelle la vie ? Ah ! cette vie — recèle en elle-même des milliers d’autres morts ; et pourtant nous craignons la mort — qui ne fait que régler le compte !

claudio.

Je vous remercie humblement. — Je vois qu’en deman-