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SCÈNE IX.

essayant d’embellir une si laide action : — votre éloquence laborieuse semble s’évertuer — à dignifier le meurtre, en élevant à la hauteur de la valeur — une humeur querelleuse qui, en réalité, — n’est qu’une valeur bâtarde, venue au monde — au moment où sont nées les factions et les sectes. — Le véritable vaillant est celui qui sait supporter sagement — ce que la bouche humaine peut exhaler de pire, — qui fait de l’outrage — comme un vêtement extérieur et le porte avec indifférence, — qui jamais ne sacrifie son cœur à ses injures — au point de le compromettre. — Si l’outrage est un mal qui nous entraîne au meurtre, — quelle folie de hasarder sa vie pour un mal !

alcibiade.

— Monseigneur…

premier sénateur.

Vous ne parviendrez pas à atténuer ces grands crimes. — Le courage n’est pas de se venger, mais de souffrir.

alcibiade.

— Alors, messeigneurs, veuillez me pardonner — si je parle en capitaine. — Pourquoi les hommes s’exposent-ils follement dans les batailles, — et n’endurent-ils pas toutes les menaces ? Que ne s’endorment-ils sur le danger — et ne se laissent-ils couper la gorge par l’ennemi — sans riposter ? S’il y a — tant de courage à souffrir, qu’allons-nous faire — en campagne ? Eh ! nous sommes moins braves que les femmes — qui restent au logis, si le mérite est de souffrir ; — l’âne est un meilleur capitaine que le lion ; — le félon, chargé de fers, est plus sage que le juge, — si la sagesse est dans la patience. Ô messeigneurs, — soyez aussi miséricordieux, aussi bons que vous êtes puissants. — Qui pourrait ne pas condamner une violence commise de sang-froid ? — Tuer est, j’en conviens, le suprême excès du crime ; — mais tuer pour se défendre est un acte légitime absous par l’indulgence. — Se mettre en colère est une impiété, — mais