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TIMON D'ATHÈNES.

timon.

— Arrière ! qui es-tu ?

flavius.

M’avez-vous oublié, monsieur ?

timon.

— Pourquoi demandes-tu cela ? J’ai oublié tous les hommes : — si donc tu avoues être un homme, je t’ai oublié.

flavius.

— Votre pauvre et honnête serviteur !

timon.

Alors je ne te reconnais pas. — Je n’ai jamais eu un honnête homme auprès de moi ; jamais je — n’ai entretenu que des marauds pour servir à manger à des coquins.

flavius, les larmes aux yeux.

Les dieux m’en sont témoins, — jamais pauvre intendant ne déplora plus sincèrement — la ruine de son maître que moi la vôtre.

timon.

— Quoi ! tu pleures !… approche… Alors je t’aime, — parce que tu es une femme et que tu répudies — cette virilité de pierre qui n’a de larmes — que pour la luxure et le rire. La pitié est endormie : — étrange génération qui pleure de rire et non de pleurer !

flavius.

— Mon bon seigneur, je vous conjure de me reconnaître, — d’agréer ma douleur, et, tant que durera ce pauvre pécule, — de me garder pour intendant.

Il lui offre une sacoche pleine d’argent.
timon.

— Quoi ! j’avais un intendant — si fidèle, si probe et aujourd’hui si bienfaisant ! — Il y a là de quoi égarer ma farouche nature. — Laisse-moi regarder ton visage… Sûrement, cet homme — est né d’une femme. — Pardonnez-moi mon emportement sans réserve contre l’humanité, — dieux à jamais équitables ! Je proclame — un hon-