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INTRODUCTION.

que pour soigner nos grossières personnes ? Mon bon seigneur, réfléchissez : qui donc jusqu’ici a été mis à mort pour cette offense, et il y en a tant qui l’ont commise !

— Quoiqu’elle sommeille, la loi n’était pas morte ; tant de coupables n’eussent pas osé commettre ce délit, si le premier qui enfreignit l’édit avait répondu devant elle de son action. Désormais elle veille, elle prend acte de ce qui se passe et fixe son regard de prophétesse sur le cristal qui lui montre les crimes futurs…

— Pourtant, faites pitié.

— Je fais acte de pitié quand je fais acte de justice. Car alors j’ai pitié de ceux que je ne connais pas et qu’un crime pardonné corromprait plus tard ; et je fais le bien de celui qui, expiant un crime odieux, ne peut plus vivre pour en commettre un second. Prenez-en votre parti : votre frère mourra demain.

Voyez comme peu à peu la légende originale s’est agrandie sous nos yeux. Cette scène entre le juge et la suppliante, qu’indiquait sommairement le conteur italien, est devenue, — ainsi transfigurée par le génie anglais, — le symbole dramatique d’un antagonisme qui dure encore. Angelo et Isabelle résument dans un admirable dialogue l’incessant débat entre la loi sociale et la loi divine. La loi sociale, cette loi du talion et des représailles, cette loi sanguinaire, meurtrière, exterminatrice, que promulguent tous nos codes, parle par la voix du magistrat judaïque. La loi divine, cette loi du pardon et de l’amour, cette loi indulgente, douce et charitable dont émane l’Évangile, répond par la bouche de la vierge chrétienne. À la misérable argutie de la vindicte humaine, Isabelle oppose l’argument suprême de l’éternelle miséricorde. À la glose ténébreuse des statuts terrestres, elle réplique par le Verbe