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SCÈNE VIII.

brutus.

— Prenez seulement patience jusqu’à ce que nous ayons apaisé — la multitude que la frayeur a mise hors d’elle-même, — et alors nous vous expliquerons — pourquoi moi, qui aimais César, je me suis décidé ainsi — à le frapper.

antoine.

Je ne doute pas de votre sagesse. — Que chacun me tende sa main sanglante ! — Je veux serrer la vôtre d’abord, Marcus Brutus, — puis je prends la vôtre, Caïus Cassius… — Maintenant, Décius Brutus, la vôtre ; maintenant la vôtre, Métellus ; — la vôtre, Cinna ; la vôtre aussi, mon vaillant Casca ; — enfin, la dernière, mais non la moindre en sympathie, la vôtre, bon Trébonius. — Messieurs, hélas ! que puis-je dire ? — Ma réputation est maintenant sur un terrain si glissant — que, dilemme fatal, je dois passer à vos yeux — pour un lâche ou pour un flatteur… — Que je t’aimais César, oh ! c’est la vérité. — Si ton esprit nous aperçoit maintenant, — n’est-ce pas pour toi une souffrance, plus cruelle que n’a été ta mort, — de voir ton Antoine faisant sa paix avec tes ennemis, — ô grand homme ! en présence de ton cadavre ? — Si j’avais autant d’yeux que tu as de blessures, — tous versant autant de larmes qu’elles dégorgent de sang, — cela me siérait mieux que de conclure — un pacte avec tes ennemis. — Pardonne-nous, Jules !… Ici tu as été cerné, héroïque élan ; — ici tu es tombé, et ici se tiennent tes chasseurs, — teints de ta dépouille et tout cramoisis de ta mort. — Ô monde ! tu étais la forêt de cet élan, — et c’est bien lui, ô monde, qui te donnait l’élan ! — Comme le cerf, frappé par plusieurs princes, — te voilà donc abattu !

cassius.

— Marc-Antoine !

antoine.

Pardonnez-moi, Caïus Cassius. — Les ennemis de César