Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 10.djvu/457

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NOTES.

tait dans l’ancien répertoire anglais une pièce composée par quelque écrivain inconnu sur la légende du misanthrope hellénique, et c’est cette pièce que Shakespeare se serait appropriée en la remaniant. Le remaniement, imparfaitement accompli, expliquerait certaines irrégularités de composition, — par exemple, le manque de lien entre l’épisode d’Alcibiade et l’ensemble de l’œuvre, l’omission du nom de la maîtresse que servent le page et le fou, la non-apparition du personnage pour lequel Alcibiade se dévoue, etc. On le voit, l’assertion est grave : si elle était fondée, elle retirerait à Shakespeare l’honneur d’avoir conçu Timon d’Athènes. Shakespeare ne serait plus l’auteur original, vivifiant sous le souffle moderne une fable morte de l’antiquité, ce serait un imitateur, que dis-je ! un plagiaire dérobant, sous prétexte de le corriger, l’ouvrage d’un de ses contemporains. Cette magnifique idée, que nous faisions ressortir plus haut, — cette conception du philanthrope produisant fatalement le misanthrope et de l’amour justifiant la haine, — n’appartiendrait à Shakespeare : elle serait de quelque poète obscur à qui Shakespeare l’aurait volée !

Et sur quoi, s’il vous plaît, repose cette accusation ? De quelle preuve s’autorise-t-elle ? Il est incontestable que Timon d’Athènes offre de frappantes variations de forme. Mais pourquoi inférer de ces variations que ce n’est pas la même main qui a commencé et achevé l’œuvre ? Ces variations qui se remarquent dans Timon d’Athènes ne pourraient-elles pas provenir des variations même du style de Shakespeare ? — Comparez le premier Hamlet au second, vous trouverez entre les deux ouvrages des différences aussi vastes que celles que vous signalez entre les diverses parties de Timon d’Athènes. Certaines scènes de Timon sont fort au-dessous de certaines autres ; soit ! mais est-ce que l’esquisse primitive de Roméo et Juliette n’est pas bien inférieure au drame définitif ? Cette supériorité de l’œuvre achevée sur l’ébauche, vous l’expliquez fort naturellement par la progression qu’a suivie d’une époque à l’autre le talent du maître. Eh bien ! qu’est-ce qui vous empêche d’expliquer par cette progression les disparates que présente Timon d’Athè-