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LA SOCIÉTÉ.

opérer cette délivrance ? Comment soustraire la société à la tyrannie imminente ? César est tout-puissant : il a concentré dans sa dictature toutes les forces publiques ; il dispose du pouvoir législatif par le sénat, du pouvoir exécutif par les consuls. La seule magistrature qui pût lui faire obstacle, cette autorité populaire que nous avons vue naguère briser par son veto l’ambition de Coriolan, le tribunat, a été réduit au silence par la proscription violente des tribuns Marullus et Flavius. César a bâillonné le peuple avec son épée. Il a investi Rome de ses soudards et mis la ville éternelle en état de siége. Les patriotes qui voudraient s’opposer ouvertement à son coup d’État, seraient écrasés dans un duel inégal par les légions des Gaules. César a rendu l’insurrection impossible. L’insurrection étant impossible, reste un dernier moyen, l’attentat. C’est dans la personne seule de l’Empereur que l’Empire est vulnérable. Pour atteindre le despotisme, il faut frapper le despote. Atroce nécessité ! Par les précautions même de l’arbitraire, le tyran a réduit ses adversaires à l’assassinat !

Telles sont les réflexions qui tiennent Brutus en éveil depuis son entretien avec Cassius. Brutus nous signifie dans un sombre monologue cette conclusion terrible à laquelle l’amène une inexorable logique. Le césarisme ne peut être prévenu que par la mort de César : « Oui, murmure le républicain, ce doit être par sa mort !… Pour ma part, je n’ai personnellement aucun motif de le frapper que la cause publique. Mais il veut être couronné… En conséquence, regardons-le comme l’embryon d’un serpent qui, à peine éclos, deviendra malfaisant par nature, et tuons-le dans l’œuf. »

Désormais plus d’hésitation. La raison a indiqué le devoir à Brutus, et Brutus n’élude pas le devoir. Brutus doit agir, — il agit.