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SCÈNE V.

inspiré, — et voici, en expirant, ce que je prédis de lui. — La flamme ardente et furieuse de son orgie ne saurait durer ; — car les feux violents se consument d’eux-mêmes. — Les petites pluies durent longtemps, mais les brusques orages sont courts. — Il fatigue vite, celui qui galope trop vite. — La nourriture étouffe qui se nourrit trop avidement. — La futile vanité, insatiable cormoran, — bientôt à bout d’aliments, se dévore elle-même. — Cet auguste trône des rois, cette île porte-sceptre, — cette terre de majesté, ce siége de Mars, — cet autre Éden, ce demi-paradis, — cette forteresse bâtie par la nature pour se défendre — contre l’invasion et le coup de main de la guerre, — cette heureuse race d’hommes, ce petit univers, — cette pierre précieuse enchâssée dans une mer d’argent — qui la défend, comme un rempart, — ou comme le fossé protecteur d’un château, — contre l’envie des contrées moins heureuses, — ce lieu béni, cette terre, cet empire, cette Angleterre, — cette nourrice, cette mère féconde de princes vraiment royaux, — redoutables par leur race, fameux par leur naissance, — qui, au service de la chrétienté et de la vraie chevalerie, — ont porté la renommée de leurs exploits — jusque dans la rebelle Judée, jusqu’au sépulcre — du fils bienheureux de Marie, la rançon du monde ; — cette patrie de tant d’âmes chères, cette chère, chère patrie, — chérie pour sa gloire dans le monde, — est maintenant affermée (je meurs en le déclarant), — comme un fief ou une ferme misérable (7). — Cette Angleterre, engagée dans une mer triomphante, — dont la côte rocheuse repousse l’envieux assaut — de l’humide Neptune, est maintenant engagée à l’ignominie — par les taches d’encre et par les parchemins pourris ! — Cette Angleterre qui avait coutume d’asservir les autres, — a consommé honteusement sa propre servitude ! — Oh ! si ce scandale pouvait s’é-