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LA PATRIE.

cette patrie de tant d’âmes chères, cette chère, chère patrie, est maintenant affermée (je meurs en le déclarant) comme un fief misérable !… Cette Angleterre qui avait coutume d’asservir les autres, a consommé honteusement sa propre servitude !…

Richard II interrompt cette patriotique agonie, en demandant au duc comment il se trouve. Mais le vieillard n’est pas dupe de cette sollicitude ironique. Étendu dans le linceul, il dévisage Richard d’un regard sépulcral et, comme s’il avait déjà la double vue d’outre-tombe, aperçoit dans les traits du jeune roi les symptômes du mal meurtrier qui le ronge. La fin prochaine du tyran lui apparaît avec son inévitable horreur. Le plus malade ici n’est pas Jean de Gand. Ce jeune roi, insolent de santé, de vigueur et de puissance, voilà le moribond. Richard est miné par l’incurable phthisie du despotisme :

— La maladie que tu vois en moi, je la vois en toi. Ton lit de mort, c’est ce vaste pays où tu languis dans l’agonie de ta renommée. Et toi, trop insoucieux patient, tu confies ta personne sacrée aux médecins même qui t’ont les premiers lésé… Oh ! si d’un regard prophétique ton aïeul avait pu voir comment le fils de son fils ruinerait ses fils, il t’aurait dépossédé d’avance en te déposant, plutôt que de te laisser, possédé que tu es, te déposer toi-même… Tu n’es plus le roi d’Angleterre. Ta puissance légale s’est asservie à la loi, et…

— Et toi, imbécile lunatique, tu te prévaux du privilége de la fièvre pour oser faire pâlir notre joue avec ta morale glacée ! Si tu n’étais le frère du fils du grand Édouard, cette langue qui roule si rondement dans ta tête ferait rouler ta tête de tes insolentes épaules.

— Oh ! ne m’épargne pas… Mon frère Glocester, cette âme si candidement bienveillante, peut te servir de pré-