Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 11.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
40
LA PATRIE.

diesse. Ici la poésie épique prend la formidable précision de la prose révolutionnaire :

Northumberland. Par le ciel, c’est une honte que de se laisser accabler par de telles iniquités. Le roi n’est plus lui-même ; il se laisse bassement mener par des flatteurs ; à la première accusation, il exercera des poursuites sévères contre nous, nos existences, nos enfants, nos héritiers.

Ross. Il a mis à sac les communes par des taxes exorbitantes, et il a perdu leur affection ; il a, pour de vieilles querelles, frappé d’amende les nobles, et il a à jamais perdu leur affection.

Willoughby. Et chaque jour on invente de nouvelles exactions, blancs-seings, dons volontaires et je ne sais quoi. Mais, au nom du ciel, que fait-il de tout cet argent ?

Northumberland. Les guerres ne l’ont point absorbé, car il n’a pas guerroyé. Il a dépensé dans la paix plus que ses aïeux dans la guerre.

Willoughby. Le roi a fait banqueroute comme un homme insolvable.

Northumberland. L’opprobre et la honte planent sur lui.

Cette éloquente dénonciation du despotisme est toujours actuelle et toujours vraie : mais quel singulier à propos elle avait pour l’auditoire de Shakespeare ! La foule, qui allait chaque jour applaudir son poëte, ne pouvait manquer de saisir toutes ces paroles comme autant d’allusions vengeresses. Par une étrange coïncidence, dans laquelle il est difficile de ne pas voir une préméditation de l’auteur, ce réquisitoire contre le gouvernement de Richard II résumait en quelques phrases laconiques les chefs d’accusation murmurés par tout un peuple contre le gouvernement d’Élisabeth. Les noms