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RICHARD II ET HENRY IV.

henry v.

Ma conscience m’accuse, très-souverain lord et bien-aimé père, et je réponds d’abord à vos dernières paroles. Vous conjecturez que ce bras et ce poignard sont armés contre votre vie. Non, sachez-le, mon père, telle n’est pas la pensée de votre fils. De votre fils, ai-je dit ? Un fils bien indigne d’un si bon père ! Mais loin de moi toute pensée d’un pareil attentat ! Ce poignard, je le remets très-humblement à Votre Majesté ; frappez de cette arme vengeresse le corps de votre fils !… de votre fils ? Non, misérable que je suis !… de votre fol esclave. Ce n’est pas la couronne que je viens réclamer, cher père, car j’en suis indigne ; je suis venu ici pour me séparer de mes compagnons extravagants et réprouvés, et pour renier à jamais leur compagnie. Pardonnez-moi, cher père ; pardonnez-moi ; le moindre mot de pardon est mon plus grand désir ; et j’arrache de mes épaules cet infâme manteau et je le sacrifie au démon, auteur de tous les maux. Pardonnez-moi, cher père, pardonnez-moi… Mon bon lord d’Exeter, parlez pour moi… Pardon, pardon, bon père !… Pas un mot. Ah ! il ne veut pas me dire une parole… Ah ! Harry ! trois fois malheureux Harry ! Mais que ferai-je ? Je vais me retirer dans quelque lieu solitaire, et là pleurer mon existence pécheresse, et quand j’aurai fini, je m’affaisserai à terre et mourrai.

Il sort.
henry iv.

Qu’on le rappelle ! qu’on rappelle mon fils.

henry v, revenant.

Quoi ! mon père me rappelle. Ah ! Harry ! heureux le moment où ton père t’a rappelé.

Il se jette aux genoux de son père.
henry iv.

Relève-toi, mon fils, et ne crois pas ton père impitoyable. Je te pardonne, à ta prière, mon fils ! Dieu te bénisse et te fasse son serviteur !

henry v.

Merci, mon bon seigneur ; soyez sûr qu’en ce jour, en ce jour, je suis régénéré.

henry iv.

Viens, mon fils ! Venez, milords, prenez-moi par la main.

Tous sortent.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Entrent le roi Henry IV et deux lords.
henry iv.

Allons, milords, je vois qu’il ne me sert rien de prendre des remèdes. Tous les médecins du monde ne sauraient me guérir. Non, pas un ! Mais, mes bons lords, rappelez-vous mes dernières volontés concernant mon fils. Car vraiment, milords, je crois que jamais prince plus vaillant et plus victorieux n’aura régné sur l’Angleterre.

les deux lords.

Nous prenons le ciel et la terre à témoin que nous accomplirons scrupuleusement tes volontés.