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LA PATRIE.

Richard a tué son parent, et pour ce fait il doit être tué par son parent. Telle est la loi du talion appliquée impitoyablement par l’histoire. Mais cette loi vengeresse semble dure à l’âme généreuse de Shakespeare. Lié par la rigueur historique, le poëte est forcé d’accepter la conclusion sanglante que le chroniqueur lui offre, mais il l’accepte avec douleur, tout en reconnaissant que la main du ciel est dans ces événements.

Heaven hath a hand in these events.

Évidemment, si l’auteur avait pu substituer sa sentence à l’arrêt de la Providence, il eût commué la peine de Richard et l’eût soustrait à ce supplice terrible. L’impuissance du droit divin devant le droit absolu était suffisamment démontrée par la déposition du tyran. Après cette humiliation exemplaire, le meurtre devenait une inutile cruauté. La révolution de 1399, révolution nationale et nécessaire, ne pouvait qu’avilir son triomphe par la lâcheté du régicide. L’auteur ici ne dissimule pas son sentiment. Jusqu’ici il a approuvé hautement la révolution, là il la blâme hautement. Sa généreuse poésie proteste contre le dénoûment implacable auquel le force l’histoire. Richard II couronné lui faisait horreur ; Richard II dégradé lui fait pitié. Tant que Richard était sur le trône, Shakespeare ne voyait en lui qu’un tyran féroce, hypocrite, lâche, rapace, cynique, sanguinaire, égoïste, hideux ; dès que Richard est déchu, Shakespeare ne voit plus en lui qu’un homme. Et, comme le tyran le révoltait par ses violences, l’homme le désarme par ses faiblesses.

De là cette succession de tableaux qui, à la fin du drame, appellent notre commisération sur le roi détrôné. — Décidé à nous attendrir, le poëte nous fait entendre le navrant adieu de Richard à sa femme : « Chère ex-reine, prépare-toi à partir pour la France, et reçois ici,