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INTRODUCTION.

Falstaff aujourd’hui est plus vivant que jamais. Il est l’homme du jour, comme l’homme de toujours. Cet enfant de la farce n’a cessé de faire ses farces. Il a été et est encore le héros de la grande parade sociale.

Certes un tel personnage mérite bien une biographie à part. Falstaff est plus qu’une réputation historique, c’est une illustration humaine. À ce titre, tout ce qui le touche nous intéresse, et c’est le devoir des critiques de rechercher jusqu’à son acte de naissance. Quels ont donc été les prodromes d’une telle nativité ? De quelles limbes la poésie a-t-elle tiré cet être ? Dans quelles circonstances s’est accomplie cette prodigieuse mise au monde ?

Au mois de janvier 1418, la plaine de Saint-Gilles, située aux environs de Londres, présentait un spectacle sinistre. Au centre de cette plaine, un homme, lié à une potence par une corde qui étreignait sa ceinture, était suspendu au-dessus d’un bûcher dont la flamme l’enveloppait lentement. Un tas de prêtres et de moines faisait cercle autour du brasier et écartait la foule accourue de la Cité pour assister au supplice. Le condamné, rôti à petit feu, ne criait pas, ne hurlait pas, ne maudissait pas : il priait, et ses actions de grâces montaient au ciel dans un tourbillon de fumée. C’était un homme d’environ soixante ans, aux cheveux grisonnants, à la figure vénérable. Cet homme avait été un des grands de ce monde. Chevalier de naissance, devenu baron par une haute alliance, capitaine renommé par ses brillants services dans les guerres de France, sir John Oldcastle avait fait partie de la maison du roi Henry IV et était devenu le familier du prince de Galles. Fort de cette amitié tutélaire, sir John avait cru pouvoir propager la doctrine religieuse prêchée par Wickleff, ce Luther du quatorzième siècle : il avait lui-même transcrit et distribué la Bible anglaise, renié la suprématie spirituelle du pape, et dé-