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INTRODUCTION.

née dramatique que lui léguait en quelque sorte la vogue des Fameuses victoires. Dans son respect pour la tradition scénique, il adopta même la plupart des noms qu’elle avait attribués aux familiers du prince de Galles. Poins prit le sobriquet de Ned ; un voleur fut appelé Gadshill : et le principal compagnon de Henry fut tout d’abord nommé sir John Oldcastle. De nombreux documents contemporains mettent hors de doute ce fait curieux. Le héros comique de Henry IV porta dans l’origine le nom tragiquement sacré du martyr protestant. Shakespeare alors ignorait la lamentable histoire ; il ne savait pas que ce personnage, dont il faisait un bouffon, avait subi pour une cause sainte le plus épouvantable supplice ; il ne savait pas que cet être, dans lequel il incarnait le scepticisme matérialiste, avait sacrifié sa vie à sa foi ; il ne savait pas que cet Oldcastle qu’il allait vouer à un rire inextinguible avait mérité une infinie pitié. Atroce plaisanterie qui, à l’insu même de son auteur, allait consacrer à jamais une atroce imposture ! Shakespeare, prenant pour plastron le martyr Oldcastle, allait, sans s’en douter, commettre le crime d’Aristophane raillant le martyr Socrate. Heureusement la vérité lui fut révélée. Comment ? on l’ignore. Ce qui est certain, c’est que le poëte s’empressa, dès qu’il la connut, de réparer son erreur involontaire. Il était encore temps ! Si l’œuvre avait été jouée, elle n’était pas encore imprimée. C’était en 1597. Shakespeare relut son manuscrit qu’attendait l’éditeur Andrew Wise, et partout y ratura le nom d’Oldcastle[1]. Mais ici surgissait un grand embarras. Quel nom

  1. Un seul passage a échappé à cette révision minutieuse. Le nom d’Oldcastle, désigné par la première syllabe Old., est resté dans le texte original en tête de cette réplique de Falstaff au grand juge : « Très-bien ! milord, très-bien ! mais, ne vous en déplaise, c’est plutôt l’infirmité de ne pas écouler qui me trouble. » Sc. II, partie ii. — Du reste, afin de dissiper à jamais