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SONNETS.

En moi tu vois le crépuscule du jour, qui s’évanouit dans l’occident avec le soleil couchant et va tout à l’heure être emporté par la nuit noire, cet alter ego de la mort qui scelle tout dans le repos.

En moi tu vois la lueur d’un feu qui agonise sur les cendres de sa jeunesse, lit de mort où il doit expirer, éteint par l’aliment dont il se nourrissait.

Tu t’en aperçois, et c’est ce qui fait ton amour plus fort pour aimer celui que tu vas si tôt perdre.

CXLII

Comme un père en sa décrépitude prend plaisir à voir son enfant alerte faire acte de jeunesse, de même, moi, que la rancune acharnée de la fortune a rendu boiteux (16), je trouve toute ma consolation dans ton mérite et dans ta perfection.

Car, quel que soit celui des biens de ce monde, beauté, naissance, richesse, esprit, qui, ennobli en ta personne, ait sa couronne en toi, je greffe mon amour à ces trésors.

Alors je ne suis plus boiteux, pauvre, ni méprisé ; car je trouve sous ton ombre une telle sève que je suis rassasié par ton abondance, et que je vis d’un peu de toute ta gloire.

Pense à ce qu’il y a de meilleur, je le désire en toi ; et mon désir est d’avance exaucé ; donc je suis dix fois heureux !