Page:Shakespeare - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1872, tome 15.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
SONNETS ET POÈMES.

loin, « tous les mots dont je me sers disent presque mon nom, trahissant leur naissance et leur origine. »

Dans la poésie lyrique, Shakespeare emprunte encore à la Renaissance ; il lui emprunte la strophe favorite de Pétrarque, et il verse dans cette strophe, devenue sienne, toutes les émotions intimes de son âme :

Gli occhi, di ch’io parlai si caldamente,
E le braccia, e le mani, e i piedi, e’l viso
Che m’avean si da me stesso diviso,
E fatte singular da l’altra gente ;

Le crespe chiome d’or puro lucente
E’l lampeggiar de l’angelico viso,
Che solean far in terra un paradiso,
Poca polvere son che nulla sente.

Ed io pur vivo : onde mi dogio e sdegno,
Rimazo senza’l lume ch’amai tanto,
In grand fortune, in desarmato legno.

O ! sia qui fine al mio amoroso canto :
Secca è la vena de l’usato ingegno
E la cetera mia rivolta in pianto
[1].

Le sonnet ! cette strophe musicale et savante dans laquelle le poëte de Vaucluse a chanté et pleuré Laure, Shakespeare aussi va la remplir de ses joies et de ses douleurs, de ses désespoirs et de ses amours. Ce mètre tout méridional, inventé, dit-on, par les troubadours français, que les exigences de la rime rendent presque impossible aux langues du Nord, Shakespeare va l’imposer au sauvage idiome saxon. L’anglais, ce verbe brut, si

  1. « Ces yeux dont je parlais si ardemment, ce bras, cette main, ce pied, ce visage, qui me transportaient hors de moi-même et m’élevaient au-dessus des autres hommes ; » Ces boucles de cheveux d’or à l’éclat si pur, cette face angélique et splendide qui faisait un paradis sur la terre, ne sont plus qu’un peu de poussière insensible. » Et pourtant je vis ! ce dont je pleure et je m’indigne ; et je reste sans la lumière que j’aimais tant, exposé à tous les hasards dans ma barque désarmée. » Oh ! que ce soit la fin de mes chants d’amour ! Tarie est la veine de mon génie fatigué, et ma lyre se fond dans les pleurs. »