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LE VIOL DE LUCRÈCE.

voirs, ses amis, son rang, il oublie tout, et part au plus vite pour éteindre le brasier qui lui dévore le foie. Ô trompeuse et vive ardeur, abîmée dans le remords glacé, ton printemps hâtif se flétrit toujours sans jamais atteindre la maturité !

VIII

Arrivé à Collatium, ce perfide seigneur est bien accueilli par la dame romaine, sur le visage de qui la beauté et la vertu luttent à qui soutiendra le mieux sa renommée : quand la vertu fait la fière, la beauté rougit modestement ; quand la beauté se pare de ses rougeurs, de dépit, la vertu couvre tout cet or d’un blanc d’argent.

IX

Mais la beauté, revendiquant cette noble blancheur, prétend tenir ce champ d’argent des colombes de Vénus ; alors la vertu dispute à la beauté ce beau rouge qu’elle a jadis donné à l’âge d’or pour dorer l’argent de ses joues, comme un splendide écu destiné à la plus noble lutte, le rouge devant couvrir le blanc au premier assaut de la pudeur.

X

Sur la figure de Lucrèce se voyait ce blason, partagé entre le rouge de la beauté et le blanc de la vertu ; chacune était reine de sa couleur et pouvait établir son droit dès l’enfance du monde ; mais leur ambition les mettait toutes deux constamment en lutte, leur pouvoir étant si grand que souvent elles s’enlevaient mutuellement leur trône.

XI

Sur le champ de ce beau visage, Tarquin considère